jeudi 14 janvier 2010

La Mia Vita Su Piccoli Aerei par Insula Dulcamara




"Insula dulcamara" est à l'origine le titre d'un tableau de Paul Klee. Nom évoquant une île, mais renvoyant également à l’antinomie du doux (dulcis) et de l’amer (amarus). En parfaite adéquation avec cette évocation, ce groupe développe une musique enjouée mais non dénuée d'une certaine amertume. A l'origine de ce deuxième album, deux morceaux instrumentaux pour la bande originale de la seconde partie du documentaire "(g) Rêve générale" de Daniele De Felice et Matthieu Chatellier. Puis trois titres ajoutés avant le départ (temporaire?) de Sergio Salvi (clavier) et Roberto Nappi (batterie). Un EP qui explore le côté plus acoustique de Insula Dulcamara. Un EP de chansons d'amour, dans le sens le plus large possible. Plein d'entrain, à l'opposé des atmosphères voilées de "La Mia Vita Su Piccoli Aerei", "L'Inchiostro Peggiore" est l'album d'Insula Camara que je préfère. Un mélange équilibré de tout ce que j'aime: piano jazz new-orléans, Blues-rock bruitiste à la Tom Waits, jazz manouche, jazz-rock, Latin-jazz rassemblé en un véritable feu d'artifice d'inventions réjouissantes. Stivali di Gomma e Proiettili d'Argento ouvre la porte de ce monde à part, le petit monde d'Insula Dulcamara, peuplé de personnages felliniens et d'apparitions fantasques. Chansons de solitude, d'amour déçus et d'amitiés perdues. Un univers qu'on imagine peuplé de bars à musique, de cirques ambulants et d'orchestres de rues et où l'on déambule avec un immense plaisir, porté par une voix chaleureuse et une poésie rare. Dans cet univers attachant où le grotesque cotoie la beauté la plus lumineuse, paysage de pénombres nocturnes traversées de lueurs blafardes, on rève devant des visions chimériques et fugaces, étrangement charmé par un esprit de dérision mélancolique et profondément humain.

The Unfaced Album par Organic Despair




Anciennement "Jesus First Christ", Organic Despair est réputé pour ces compositions torturées mettant en ondes de façon méthodique un mal-être indéfinissable et troublant, parfois même traumatisant, porté par un triphop sombre et désespéré. Le début de l'année 2009 fut marqué par la sortie de cet album impeccable, habillée d'une belle photographie inquiétante et énigmatique. Des choix de compositions ardus, une recherche sonore menés avec perspicacité, et une technique de chant aboutie tant sur le plan de la voix que dans l'interprétation génèrent immédiatement l'empathie... les 6 titres sont impeccables à tout point de vue, riches de trouvailles parfaitement cohérentes. La courte introduction à elle seule est une petite merveille d'électro vivante et sensible. 'Breath' enchaine sur ce mode avec un début planant et saturé de spleen, les nappes de synthé se fondant avec la voix dans un entre-temps qui parait comme suspendu, sombre et douloureux. On pense un peu à certains passages d'Animals' des Pink Floyd (Sheeps) mais la force d'évocation en est supérieure. Avant l'achèvement, quelques notes de flutes traversières, bien senties, apporte ce qu'il faut de dérision lasse. 'Hallu', dans une ambiance jazz-rock éthérée, offre un mixage réussi de la voix qui joue de toutes les inflexions possibles, entre diction tragique, monologue désespéré et chant évoquant Léo Férré ou David Bowie. L'atmosphère générale du morceau bien que pesante, reste d'une fragilité douloureuse. Vient ensuite 'Jazz', un titre qui débute comme un arpège atonal de Léonard Cohen, jusqu'à ce qu'un ensemble de cordes aux harmonies travaillées envahissent l'espace de leurs plaintes nostalgiques. 'Massive destruction' enchaine avec une rythmique opaque et feutrée, balayée d'ombres profondes, entre lesquelles la voix semble se couler avec sensualité. 'I hope you'll never comme back' amorce un retour à plus de noirceur, après un début langoureux, accompagnant un chant en apesanteur, la flute traversière revient disséminer sur ce titre des harmonies jazzy presque enjouées, décuplant l'effet mélancolique précédemment développé. 'Au revoir' termine cet opus de façon abrupte, noir et étouffant, tout horizon semble avoir disparu, errance absurde dans un vortex intérieur dépourvu d'issues jusqu'à la détonation finale...

mercredi 13 janvier 2010

La Chambre Noire par Oscar Brent




Attention: influences multiples! imaginez un cousin germain d'Art Mengo, lointain descendant d'un Armstrong ou d'un Captain Beefheart, fils illégitime d'un improbable mariage entre Tom Waits et Charlélie Couture... comme si Oscar Brent avait réuni sous son nom tout les sortilèges vocaux et musicaux qu'aucun d'entre eux séparément n'aurait pu jamais concrétiser. Bruno Stimart, auteur-compositeur belge vivant à Namur (Wallonie) se chercha longuement, expérimentant dans une veine moyennement convaincante entre Brel et Cabrel, avant d'écrire "Surveillance Cameras Show", une chanson qui fit à ceux qui la découvrir pour la première fois  l'effet d'un électro-choc: un nouveau nom, une nouvelle voix, un nouveau style... Bruno Stimart s'effaçait soudain pour laisser la place à Oscar Brent... L'album est sorti dans un premier temps sur Jamendo en démo, sous forme de singles: 6 perles rares qui étaient à savourer une à une, comme si le caractère unique de ces pièces en avait imposé la publication titre par titre (une seule pochette virtuelle déclinée en un écrin minimaliste et classe pour chaque facette d'un attendu et sublime album en devenir). Pures merveilles d'orchestration, ciselées et travaillées avec une maestria incomparable, sans effets inutiles, sans surcharge, sans une seule faute de goût. Preuve d'un talent hors du commun, mais également d'une humilité et d'une simplicité d'âme qui furent tout à l'honneur de ce poète-compositeur-musicien-interprète. Je m'interrogeait à l'époque sur le tour de force incontestable qui consistait à aligner 6 chansons sublimes, chacune s'élevant au même niveau d'exigence que la précédente avec une constance imparable. Vint ensuite "la chambre noire", version finale de l'album comportant la reprise des 6 démos précédentes + 5 titres supplémentaires, soit 11 chansons d'une beauté sombre et mordante qui vous saisissaient le cœur et l'âme et ne les lâchaient plus même une fois l'écoute achevée. 11 titres qui laisseront leur empreinte indélébile dans vos oreilles consentantes dès la première audition...


Compositions Audiovisu'Elle... par Sydney Poma




Cette pianiste et compositeur française, résidant à Paris, écrit et interprète une musique très intériorisée, éminemment subjective, subtilement évocatrice, inspirées par des émotions intimes qu'elle essaie de transmettre avec exactitude, en accordant à chaque fois une grande importance au respect de l'image et du thème choisi. Pour elle, la composition audiovisuelle se doit d'être le reflet du jeu de l'acteur, et s'affirmer comme une évidence face au ressenti du téléspectateur. Cet album se présente habillé d'une image qui fut à l'origine d'un mini-débat lors de sa sortie sur Jamendo. Ce portrait presque frontal dérangea, peut-être parce qu'il était trop nature, trop direct, et que beaucoup aurait souhaité plus d'abstraction. Mais le propos du disque était bien d'emmener l'auditeur à la rencontre de sensations intérieures vivantes, mouvantes, et proches d'un quotidien perçu à la manière d'un Éric Rohmer. La première chose qui me frappe c'est ce regard, vif, entier, porté haut, animé d'un espoir, d'une attente qui monopolise immédiatement l'attention, et je me demande à chaque fois ce qu'ils regardent, ces yeux, avec tant d'attention et tant de sincérité. Cette photographie, parfaite, intemporelle, illustre parfaitement le contenu de l'album et a su s'imposer comme en étant une traduction visuelle idéale. Quand à la musique, on a droit à de vraies compositions, sensibles et pudiques, et Dieu sait que là, la thématique était casse-gueule. Il était tentant de se laisser aller au sentimentalisme et à la mélancolie sirupeuse, aux effets faciles... Et c'est ici que se dévoile toutes les qualités de l'œuvre. Sydney Poma a su trouver perpétuellement la distance exacte avec son sujet pour nous captiver sans jamais nous mettre en situation de voyeurisme. Il y a un jeu incessant et très subtil entre ce qu'elle décide de dire et ce qu'elle choisit de cacher, un sens de la métaphore musicale extrêmement poussé et qui donne beaucoup de profondeur à ces différents titres. Et puis il y a surtout cette volonté de toujours surprendre son auditeur, de l'emmener là ou il ne s'y attendait pas, de ne pas lui donner ce qu'il attend justement... et cette capacité à inventer de la nouveauté sur des thèmes forcément galvaudés est la marque d'un grand talent.. Il y a pas mal de musiciens classiques sur Jamendo, je crois que peu d'entre eux savent s'élever à ce niveau d'exigence. Un autre album suivra, tout aussi réussit quoique ne disposant pas de la cohérence narrative du premier. Légèrement différent également dans la démarche, effleurant les émotions sans s'y abandonner (moins d'évocation, plus d'illustration). on retiendra sur ce deuxième opus 'Magic Box', cadeau très très étrange et intrigant, 'Blood' emprunte de gravité subtile. Et surtout trois titres qui renouent avec la sensibilité particulière de l'album précédent. 'Auschwitz' ou l'on ressent interrogation profonde et douleur incrédule, 'wimming Pool' légèreté troublante traversée de transparences ineffables et 'About me' qui trouve un ton charmeur délicieux le temps de quelques courtes confidences.

samedi 26 décembre 2009

Blue Morning EP par Screenatorium




Né en septembre 2006, ce groupe construit autour de Djeh a sorti un premier EP en février 2007 (A girl's Wish EP). Suite à un remaniement du groupe, Nawelle se joint à lui, suivi de Fino. C'est sous cette nouvelle formation que le groupe sort son (second) premier EP "Blue Morning" un an plus tard. Derrière une magnifique pochette à l'onirisme fantastique dessiné par Niet (un graphiste talentueux qui est d'ailleurs responsable de toutes les pochettes et autre visuels du groupe), on découvre un album dépressif mais pas déprimant, un peu comme si Wax Taylor avait vendu son âme au fantôme de Crustation. Derrière l'histoire sentimentale, se raconte le récit assez surréaliste d'une perte (ou la découverte d'une absence) ainsi que l'addiction mentale qui en résulte... Il y a une progression assez subtile dans les atmosphères. De 'What if', planante et lumineuse, évocatrice de liberté, à l'ambiance emprunte de mystère de 'I Was Upstairs' ou se coule une voix féminine brusquement soumise et consentante; De 'Blue Morning', teinté d'un apaisement sombre, régressif, traversé d'éclats sonores étranges, à l'obsessionnel 'Memories'; De 'The Answer Lies', qui sonne comme l'écho désenchanté de 'Blue Morning' et porte une ambivalence très réussie, au poignant 'Addiction', enfermement consenti et désiré en un désir qui trouve son accomplissement en se nourrissant de lui-même; Screenatorium écrit une page musicale irrésistiblement envoutante, proche du fameux 'Bloom' de leur prédecesseur.

jeudi 24 décembre 2009

Orgamilk par Fresh Body Shop




Minimaliste, copieusement fourni en mélodies doucement entêtantes et en grilles d'accords subtiles, cet album ressemble à la version unplugged d'un best of. Difficile de ne pas tomber raide dingue de cette douzaines de titres au terme d'une écoute en boucle prolongée, le temps de s'imprégner de l'atmosphère particulière à chaque morceaux, de percer les petits secrets de chaque composition et de s'y installer. Il y a un peu d'Eliott Smith dans cette enchainement nonchalant de perles acoustique qui me rappelle le Either/or de ce dernier. On s'attachera en découvrant l'album pour la première fois aux évidences les plus notoires. Le feeling très Nirvanien de 'One More Joke' (génial intermède dissonant à 1:40 - j'adore), la mélodie entrainante de 'Down Theses Steps', les arpèges sur 'Guity Crowd' qui évoque le Creedence Clearwater Revival, le rock de 'All It Gives' et la mélodie efficace et catchy de 'Big Wood Cross',avant d'être happé par la nostalgie sourde de 'Word of Happyness', l'euphorie inquiète de 'Nice Day', la beauté simple et lumineuse de 'Fluid' (chanson éponyme méritée), la révolte ironique de 'The worst of all', la poésie brumeuse de 'Shell', la résignation mélancolique de 'You Belong to This', ou les clair-obscurs feutrés de 'Sun Ways'. La voix est toujours aussi parfaite, précise et inimitable. Et puis j'aime définitivement cet album qui ne se livre pas totalement à la première écoute et demande un peu d'assiduité pour livrer ses richesses, l'apparente monotonie s'efface alors pour laisser place à l'émerveillement.